Ultra Trail du Mont-Blanc (UTMB) le 26 Aout 2011 par Jean-Yves Baron

Bonjour à toutes et à tous,
Merci pour tous vos messages d'encouragements et SMS reçus durant ce week-end bien mouvementé.
Avant de résumer ces quelques jours un gros merci à mes colocataires du Majestic à Chamonix : Gildas, Bruno, Vincent, Jérôme, et surtout Fred qui m'a donné des précieux conseils pour la course.
Malgré les abandons de Bruno et Vincent, Fred la star termine 19ème de cet UTMB mémorable, et Jérôme 11ème de la CCC pour sa 1ère course de montagne.

Une pensée aussi pour Grouin-Grouin qui nous gratifie encore d'une performance terrible sur la TDS, c'est la 1ère fois que je vois le sanglier aussi marqué par une course ! Il en a chié pour arriver, mais quelle belle place !

Pour ma part, voici le fil de la course du petit trailer du Mont Saint-Michel.

Départ TGV Rennes le mercredi soir mouvementé, avec un retard de 1h, un autre train était en panne sur la voie de chemin de fer, 40km avant Paris, ça met déjà les boules !
La liaison métro, pas de problème, bloqué 10mn pour incidents entre la police et une bande de jeunes, une station avant la gare d'Austerlitz ! JE VAIS BIEN ! TOUT VA BIEN ! Je chope le train juste 5mn avant le départ. Oups ! déjà de la course !

Beaucoup de trailers dans le train, chacun parle de sa course, son passé, son stress, mais on finit tous par s'endormir, et au final plutôt bien, puisque je ne me suis réveillé, qu'une fois arrivé à Saint-Gervais. Bravo la SNCF !


Jeudi /Vendredi :
Temps magnifique, il fait très chaud, mais le stress est au maximum, je suis blessé au tendon d'Achille depuis 3 semaines, et malgré le très net ralentissement de l'entrainement, je ressens une douleur, surtout le matin au réveil. J'arrive à l'appartement, les collègues m'accueillent avec un café, pas de stress, tu es le bienvenu, prends tes repères, tu es totalement libre de tes horaires de bouffe, et de faire ce qu'il te plait. Super ! Je peux gérer un peu plus tranquille. Je décide d'aller un peu avant midi faire une petite marche dans la montagne, pour voir comment réagit le tendon, je suis super stressé presque bloqué à chaque mouvement tellement j'ai peur d'avoir mal et de ne pas participer. Mais il ne se passe rien, aucune douleur, incroyable, peut être l'air, je ne sais pas.
Toujours est il que je n'insiste pas de peur de vouloir trop en faire.
Une bonne dose de stress en moins, super, le week-end s'annonce bien.
Retour à l'appartement, nous avons dans l'équipe un journaliste d'Endurance Mag, Bruno Poirier, qui fait l'UTMB aussi, et qui a la chance d'avoir toutes les infos course en temps réel, il nous apprend que la direction de course réfléchit non pas à l'annulation du départ de l'UTMB, mais à un départ différé. La faute à qui ? Une grosse dépression sur les Alpes vendredi soir qui amènera au minimum tempête, pluie, et certainement neige en altitude.
Je m'étais à peine remis de mon tendon, que c'est la météo qui nous fout les boules. L'ambiance est tendue dans l'appartement. Fred, Bruno et Gildas, décident d'aller chacun de leur côté collecter des infos. Départ / Pas départ ??
Au final, on reçoit un SMS à 6h du matin vendredi, le départ est différé à 23h30 minimum, et ne sera donné qu'une fois la météo validée. Ca stresse de partout, on ne parle que de cela dans Chamonix, une sorte de stress collectif, les coureurs s'interrogent, revoient les objectifs temps. Les très bons coureurs aussi se mettent à stresser, car pour eux aussi un départ décalé c'est certainement une 2ème nuit dehors.
Moi je m'en fout, je sais que de toutes façons, je passerai les 2 nuits dehors, donc pour une fois, ce n'est pas moi qui balise !

Vendredi soir 20h, nouveau SMS de la direction de course, le gros temps a déjà commencé à frapper, la course est modifié, le départ est maintenu, mais on raccourcit le parcours, -1km, on croit rêver, on passe de 166 km à 165km, mais c'est vrai, on supprime un col qui vient de fermer à cause des coulées de boues, on passera par la vallée ! Super 700m de dénivelé en moins, Y a bon Banania !!
1/4 d'heure plus tard cela continue, nouveau SMS, un autre col vient de fermer, coulées de boues et tempête de neige au sommet. Mais le montagnard a de la ressource, un coup de téléphone en Suisse, et nous voilà avec un parcours encore modifié, en fait nous serons plus longtemps en Suisse, le parcours fera non plus 165km mais 170km, et on nous met un col en plus. Rien de grave juste 1500m de dénivelé en 1 seul col !
On croit rêver ! Je vais finir par attraper une étoile à ce rythme là. Encore faut il les voir, remarquez !!

Bref ! 23h20, on se présente sur la ligne de départ, cela fait déjà plusieurs heures que la pluie tombe, on s'est tous fait une raison, il faut se concentrer non plus sur le chrono, mais il faudra se battre pour passer la 1ère nuit, qu'on nous annonce épouvantable avec un risque d'arrêt de course à tout moment, une journée du samedi en Italie chargée en gros temps, pour finir logiquement par du soleil dimanche, histoire d'arriver bien sec à Chamonix.

23h30, la musique de départ, qui met bien les boules, mais l'ambiance est moins impressionnante qu'à l'habitude, on sent bien que tout le monde doute, y compris l'organisation. Allez c'est parti ! 9 cols à gravir et à redescendre, 9700m de dénivelé, et peut 48h de course/rando.

Le Parcours :

- Chamonix - Saint-Gervais :
3h de course, 3h de pluie. Le sac à dos pèse une tonne, la Gore-Tex fait glisser l'eau sur le sur pantalon, qui lui fait glisser l'eau dans les chaussettes, et forcément les pieds sont trempés, ça baigne dans le jus ! Vous savez ces randonnées qu'on fait à l'armée avec tout le barda, et sous la flotte. La même chose je vous dit. Mais dans le peloton c'est sympa, car tous les bretons se font chambrer. Çà c'est un temps de breton, entend on régulièrement. Et c'est vrai que ça ne me gênait pas plus que cela.
Par contre, si la Gore-Tex ne laisse pas passer l'eau, elle conserve bien la sueur aussi, mais bon bien trempé à l'intérieur, mais c'était de l'eau chaude donc pas de soucis, il fallait , enfin pour moi bien protéger les reins, et surtout les mains (gants + sur-gants achetés la veille !!). Au pointage, je demande mon classement. Dans les 1650/1700, Jean-Yves, tu n'es pas venu que pour faire du tourisme, il faut pense à mettre un peu de watts ! OK, j'ai la forme, j'ai l'envie, je chante dans ma tête. Je vais appliquer la méthode Fred Cantin, pas d'arrêt au ravitaillement. Il faut pouvoir le faire mais j'ai envie d'essayer, on prend à manger à la volée, qu'on stocke dans un sachet, mais on ne s'arrête pas ! Avancer, toujours Avancer pour progresser !

- Saint-Gervais - Courmayer (Italie) :
C'est la grosse section.67km de course, 3 gros cols en enfilade, un dénivelé quasiment toujours positif, c'est la partie la plus dure, celle pour laquelle je me suis le plus préparé, on va voir si le planté de bâton à 21h le soir au parcours santé pendant plusieurs semaines a été efficace ?
Il ne pleut plus depuis 2/3 h, on ne finit par plus savoir ! En fait, c'est plus le ressenti du corps qui marque. Je me souviens qu'a ce moment malgré la nuit mon corps s’asséchait, il n'y avait plus que les pieds qui baignait encore, mais l'amélioration était là.
Elle fut cependant de courte durée !
Dans l'ascension du col du Bonhomme, heureusement pour moi il faisait jour, une tempête de neige d'enfer, un vent très froid, la neige qui tombait fort de face, et qui colle aux chaussettes, mais même pas peur, il reste en short le gars ! le seul barjot en short alors que les autres avaient le sur-pantalon ?? Toujours est-il que j'avais mis une partie de la nuit à sécher, j'allais pas recommencer à tremper. J'avale les kilomètres, et les hommes, j'ai des jambes, je me prends même à mener des petits groupes de coureurs dans les descentes de cols. Le Pied quoi !
Arrivé à Courmayer, le plus gros ravitaillement de la course, la 1ère chose que je fais, je demande mon classement, car je sais bien que cette nuit j'ai fait fort, je sens que le niveau de course s'est élevé, les personnes avec lesquelles je cours sont au moins aussi fortes que moi ! On m'annonce 965 ! Extra, j'ai grillé 700 personnes dans la nuit, je suis déjà fier de ce bout de parcours, je pense tout de suite à mon entrainement, et ces heures passées à monter et descendre plusieurs fois la côte à 18% tout seul le soir. Génial !

- Courmayer – Champex (de l'Italie à La Suisse) :
Pas facile, cette partie avec 2 cols, dont le grand col Ferêt le plus dur et le plus haut col de la course, environ 2600m. La mauvaise météo a visiblement déjà fait son travail et usé beaucoup des coureurs, dans tous les ravitaillements que je passe les infirmeries, ne sont pas complètes, elles débordent, il y a même des coureurs allongés dans les espaces bouffes, c'est l'hécatombe.
J'arrive à Grand col Ferêt, la nuit tombe, cela devient brusquement difficile, on entre dans le brouillard, et tout à coup je lâche. J'étais pourtant bien entre 2 espagnols et 2 américains, mais ils sont trop forts pour moi, je ne peux plus suivre, je sombre totalement. En quelques secondes tout s'écroule, je m’assois, à bout de force, le vide total, on y voit rien, plus personne devant, toujours pas de frontale derrière, le seul point de repère. Je suis sur le parcours assis au pied d'un bout de rubalise. L'émotion m'envahit, il me faut de l'aide, je craque complet, je téléphone à ma petite famille. Coup de chance, personne, elles ne sont pas rentrées, je me défoule sur le téléphone, heureusement que la messagerie ne dure qu'une minute, elles n'auront pas eu à attendre tout ce que j'ai évacué.
Ouf, une frontale arrive, un français, on se parle il m'aide à me relever et on repart.
Quel con, on fait 30m et on bascule, j'étais dans le haut du col ! 'ai perdu du temps inutilement. Je suis vexé, il faut compenser cette erreur. Mon collègue stéphanois ne peut plus il veut faire une pause, il me dit de continuer, cela va aller pour lui.
Et là encore une fois,je ne sais pas ce qui se passe, mais je pars dans la descente comme un mort de faim, en courant, prenant des risques dans le brouillard, je double pas mal de concurrents, je chute deux fois à cause du brouillard, mais pas de bobos.
Je retrouve même un groupe important d'une quinzaine de coureurs, ils ne vont pas vite, ont peur de se tromper, je prends les choses mains, tout le monde suit, c'est le pied, le groupe est euphorique, ça trotte à un bon rythme, à gauche et à droite du chemin. On arrive à La Fouly, j'ai cartonné, nous ne sommes plus que 2. Je suis avec un américain, qui me tape sur l'épaule, et me lance "Hey man ! You are a good reader" (tout du moins c'est ce que j'ai compris). Excusez du peu ! Un frenchy qui trace la route à un américain, c'est un des plus beaux moments de ma course, mais le meilleur est à suivre.
Bref pas le temps de tailler la bavette, je décide de ne boire qu'un verre d'eau et de repartir, si je tiens jusqu'à Champex (Suisse), je devrais avoir fait fort.
Finalement, je passe au ravitaillement placé 601, les médecins qui me regardent passer me félicitent pour mon état de fraîcheur physique apparent, mais me conseillent toutefois d'en garder sous le pieds, car il va falloir passer le Mur, comme ils disent.
Et je vous prie de croire, que quand un suisse vous dit qu'il y a un mur devant, pas de problème, il y a un mur, un vrai !
Je descends Martigny en courant vite, je grille encore 80 concurrents, je n'y crois pas, j'ai des ailes je peux encore mieux faire !
Sauf, que voilà 1ère partie du col de la Forclaz, 700m de dénivelé, qui s'avalent malgré tout plutôt bien, et puis le Mur.
Du jamais vu, une bosse d'environ 1km5, tout droit, pas un virage, et surtout 800m de dénivelé. Kilian Jornet doit être champion du monde du kilomètre vertical, et bien maintenant, c'est à moi de me laisser et de voir ce que ça donne.
Résultat : 2 plombes pour monter 2kms, l'horreur. Tellement dur que j'avais l'impression que la peau des pieds se décollait.
Arrivé difficilement en haut, j'ai les pieds en feu, je me lance dans la descente, mais là 1er virage,  chute, je ne supporte plus les chaussures, c'est le martyre !
J'envois un SMS à Fred : planté dans la descente à Trient, bloqué. La réponse ne tarde pas "Continue". Sauf que je ne peux plus, il faut d'abord me soigner, je dois au moins chausser du 45 ??
Et tout à coup, au bout du chemin, 3 fées clochette suisses. Pas une blague ! 3 randonneuses super équipées, super gentilles, francophones, avec l'accent suisse prononcé. Unique.
"Allez monsieur, ce que vous avez fait est déjà exceptionnel, il ne faut pas vous laisser abattre, on va vous réparer tout cela.
Pendant que la 1ére s'asseyait devant moi, il fallait que je lève les jambes pour mettre mes pieds sur ses épaules, pendant que la 2ème enlevait délicatement les deux chaussures, et la 3ème chercher les Compeed dans ma trousse pharmacie.
Au final, une ampoule énorme sous chaque pied, 2 , 3 couches de Compeed pour amortir les chocs, et les 3 mamies pour m'aider à me mettre debout.
Super, je ne sais pas si je serai reparti sans leur aide !
J'arrive à Vallorcine, j'ai perdu 50 places, mais j'ai réussi un incroyable UTMB, j'ai envie d'en profiter pour le reste. Peut importe le classement, la course est déjà jouée, on m'accueille au ravitaillement en finisher, séquence émotion !

- Vallorcine – Chamonix :
La rétro intérieure de cette aventure vraiment fantastique.
Pour les 15 derniers kilomètres, je me lâche, tu vas prendre un bain, je trouve une belle cascade, un peu à l'abri des regards, allez cul nu dans l'eau, vite fait histoire de décrasser le cochon, il me restait 2 maillots secs, ils serviront de serviette. 2mn après, allez une sieste d'une 1/2h, prends ton temps, cool !!
Mais pas facile de dormir quand tout le monde s'arrête pour prendre des nouvelles, je n'ai pu somnoler qu'un bon 1/4, mais tout de même réparateur. Enfin la touche finale, l'habit de noce, je mets la tenue du TC Val, et je fais tout mon possible pour arriver seul à Chamonix, la foule pour moi tout seul. 5mn d'éclate totale, des milliers de personnes, la télé, la presse, un bruit d'enfer, l'hymne de l'UTMB rien que pour moi. Magnifique !
Une fois la ligne passée, tout tombe, j'ai du mal à tenir debout, j'entends quelques personnes crier " vite la Bretagne ", "Chapeau le Mont-Saint-Michel", c'est un peu confus, j'ai besoin d'une bière, mais elle n'a pas de goût, la 2ème est bien mieux passée.

Vive le Sport !
Jean-Yves Baron.